Pour ce 6ème numéro de « L’Entrevue Ô Canada ! », il m’a semblé logique et plus que pertinent de m’adresser à Jean-Michel Lhomme, pour son balado « Fais-tu frette ? ». On reste donc dans les expressions québécoises !

« Fais-tu frette ? » signifie littéralement « Est-ce qu’il fait froid ? » en québécois, une façon sans doute pour Jean-Michel Lhomme de prendre la température de la société québécoise sur de nombreux sujets tels que « la formation pro au Québec« , « le rôle de l’église au Québec » ou bien « le marché du travail au Québec« . Le balado, qui compte actuellement 50 000 téléchargements, propose aussi des interviews de nombreuses personnalités aux parcours passionnants !

Jean-Michel Lhomme a fait carrière en France dans le marketing et la communication, tout en étant passionné de radio depuis son plus jeune âge.

illustration du balado/podcast fais-tu frette ? par Jean-Michel Lhomme Montreal, Québec, Canada
Le balado Fais-tu frette ?

Voici notre échange…

Elsa Schang : Jean-Michel Lhomme, vous avez créé le balado « Fais-tu frette ? ». Une question bien québécoise ! Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?

Jean-Michel Lhomme : Lorsque j’ai créé le balado « Fais-tu frette ? » à mon arrivée à Montréal, il y a 2 ans et demi, il m’a semblé évident qu’il devrait s’articuler autour de cette rencontre que j’allais vivre avec la culture québécoise. J’ai choisi ce titre car beaucoup de personnes de mon entourage en France à mon départ m’ont demandé s’il faisait vraiment froid au Québec en hiver et ont fait référence aux très basses températures canadiennes.

Le balado s’appuie à la fois sur une curiosité et un besoin : j’ai réalisé que mon parcours professionnel en France s’était notamment appuyé sur une bonne connaissance de la culture française. Parallèlement, on ne peut pas faire une carrière dans la publicité et la communication sans être nourri par une très grande curiosité. Or, à mon arrivée au Québec, je ne connaissais rien de la culture québécoise, je ne connaissais pas les madeleines de Proust des Canadiens, leurs références, etc. Il m’a donc semblé évident que j’avais besoin de connaître tout cela pour continuer d’exercer mon métier.

J’essaie de diffuser un épisode du balado par semaine, en m’octroyant des pauses à certaines périodes, comme l’été par exemple ou bien pendant les fêtes de fin d’année. Cela me permet de réfléchir au contenu des prochains épisodes.

Il y a pour le moment 54 épisodes, avec 54 invités différents, répartis sur 3 saisons.

Je fais très peu de montage. Cela donne un côté naturel à l’échange qui me plaît. Je souhaite que l’auditeur du podcast ait l’impression d’être assis à notre table, comme si l’on buvait un café tous ensemble. De cette manière, l’auditeur fait partie de notre conversation.

E.S. : Pouvez-vous décrire votre parcours : vous n’êtes pas de nationalité canadienne. Qu’est-ce qui a motivé votre expatriation ? 

Jean-Michel Lhomme : Ce qui a motivé notre expatriation, c’est un alignement des planètes. J’ai toujours apprécié voyager, tout comme mon épouse. Donc l’idée d’aller un jour vivre à l’étranger nous a toujours intéressés. Nous connaissions le Québec, nous étions déjà venus. Evidemment, au premier abord, la gentillesse et la bienveillance des gens nous ont sauté au visage et nous ont donné envie de revenir. Mon épouse avait des projets qu’il était plus simple pour elle de réaliser au Québec. De mon côté, professionnellement, je pouvais me permettre de la suivre, et nos enfants pouvaient également être de l’aventure.

Mes premiers contacts avec le monde audio-visuel ont eu lieu lorsque j’étais au collège. L’un de mes enseignants avait créé une radio associative. C’est de cette façon que j’ai attrapé le virus de la radio. J’en ai fait mon métier pendant un peu plus de 2 ans. Puis je me suis intéressé à la publicité et à la communication. J’ai retrouvé dans ces domaines des mécanismes assez proches de ceux que j’avais connus dans le monde de la radio. J’ai donc fait toute ma carrière dans ce secteur, tout en gardant un œil sur les médias. Il se trouve que quelques temps avant de m’expatrier au Canada, j’ai occupé le poste de directeur général d’un média qui s’appelle BtoBradio.tv à Paris, qui réalisait notamment des podcasts. Cela m’a redonné le goût de la radio !

Lorsque je suis arrivé au Québec, j’ai donc pris la décision de lancer mon propre balado. Je me suis lancé dans cette aventure car j’avais l’impression d’être au bon endroit, au bon moment, avec le bon bagage.

E.S. : Quelle est votre fonction aujourd’hui ?

Jean-Michel Lhomme : Actuellement, le balado « Fais-tu frette ? » n’est pas ma principale activité puisque j’ai créé ce balado à titre personnel. Sur le plan professionnel, j’ai rejoint il y a plusieurs mois une société de médias internet d’information locale à MontréalNéomédia, pour laquelle je développe de nouvelles activités autour du balado. Je crois énormément au potentiel de ce moyen de communication.

D’ailleurs, il y a un jingle sonore en début de chacun des épisodes de mon podcast qui dit « Podcast is the new radio ». Je crois profondément en cette affirmation.

Le modèle économique du balado n’est pas encore défini, il y a un vent de liberté incroyable dans ce domaine ! Chacun peut proposer son contenu, dans le format qu’il souhaite. On peut se permettre de couper le micro lorsqu’on le juge pertinent, et non parce qu’il faut impérativement respecter une durée précise ou des codes imposés.

E.S. : Vous a-t-il semblé facile d’entreprendre vos projets au Québec ?

Jean-Michel Lhomme : Ma grande surprise à mon arrivée au Québec a été la facilité avec laquelle il est possible d’accéder aux personnes. J’ai occupé des fonctions de direction en France et je sais à ce titre combien il peut être compliqué de contacter des personnes de haute fonction. Au Québec, cela est beaucoup plus facile !

On dit souvent que le Québec est moins « hiérarchisé » que la France, et bien je tiens à le confirmer.

Lorsque j’ai entrepris de lancer le balado, il m’a fallu réfléchir aux personnes que je souhaitais interviewer ou inviter. Parmi les personnes auxquelles j’avais pensé, j’aimerais citer Jean-Marc Léger, président-fondateur de la firme de sondage Léger, qui est également l’auteur d’un ouvrage intitulé « Le Code Québec ». C’est une personnalité importante au Canada, qui intervient dans de nombreuses émissions, notamment lors des élections. A travers son ouvrage, il tente de décrypter ce qui fait l’ADN québécois à l’aide de « 7 facteurs de différenciation ». Je recommande vivement la lecture de ce livre ! Je n’avais pas encore diffusé un seul épisode de « Fais-tu frette ? » lorsque j’ai contacté ce monsieur, via LinkedIn. J’ai reçu une réponse positive dans la journée, et nous avons fait une interview passionnante. Il en a été de même avec Isabelle Hudon, l’ancienne ambassadrice du Canada en France, aujourd’hui à la tête de la Banque de Développement du Canada. C’est une belle différence d’approche !

Jean-Marc Léger, président fondateur de la firme de sondage Leger
Jean-Marc Léger, président-fondateur de la firme de sondage canadienne Léger | Wikipédia
Logo de la firme de sondage canadienne Léger
Logo de la firme de sondage canadienne Léger
Isabelle Hudon, présidente de la Banque de développement du Canada, ancienne ambassadrice du Cnada en France
Isabelle Hudon, présidente de la Banque de développement du Canada, ancienne ambassadrice du Cnada en France

E.S. : Pouvez-vous dire que la COVID-19 a eu un impact sur votre façon de traiter les sujets ou votre façon de travailler ?

Jean-Michel Lhomme : Concernant le balado, le principal changement est que les interviews se font désormais en visio et non plus en présentiel. On arrive à avoir une belle qualité d’échange, mais sans atteindre la convivialité d’une vraie rencontre.

Pour le reste de notre expatriation, cela a tout changé. Et pour être honnête c’est un regret. Quand on se rend à l’étranger, c’est pour des rencontres, des découvertes… sauf qu’en mode COVID, rien de tout cela n’est possible. Au final, c’est un peu comme si on était plongé dans le métavers. C’est hyper réaliste, mais on ne m’ôtera pas de l’idée que la vraie vie c’est quand même nettement plus sympa.

E.S. : Le site est complet : épisodes de balados, blog, infolettre, pour aller plus loin… Etes-vous seul à travailler sur le balado « Fais-tu frette ? » et sur le site ?

Jean-Michel Lhomme : En effet, je suis seul à travailler sur le balado ainsi que le site.

E.S. : Les sujets sont très variés, comment les choisissez-vous ?

Jean-Michel Lhomme : Il y a 3 angles :

–         Le 1er angle, qui a d’ailleurs nourri la quasi-totalité de la 1ère saison, est celui de ma propre expérience, celle d’un nouvel arrivant au Québec. Il y a des choses qui m’étonnent, des choses que je ne comprends pas, qui me poussent à m’interroger, et ce sont ces questionnements qui inspirent les thématiques des premiers épisodes. Elles répondent à la question : « qu’est-ce que j’ai besoin de savoir ? Qu’est-ce que j’ai besoin qu’on m’explique ? ».

–         Le 2ème angle a consisté pour moi à m’appuyer sur des ouvrages. Je lis beaucoup, et je me suis naturellement intéressé à la littérature québécoise, ce qui m’a amené à ouvrir un œil sur une réalité dont j’ignorais tout. Par exemple, l’histoire de la pègre au Québec. J’ai ainsi interviewé Charles-André Marchand, l’auteur de l’ouvrage « Pègre Qc – L’histoire du crime organisé au Québec ». De cette façon, j’espère avoir pu faire découvrir à travers cet épisode du balado une tout autre histoire du Québec, une tout autre réalité, et donc un peu de sa réalité actuelle.

[Ndlr : A ce sujet, je recommande la série Bad Blood, actuellement diffusée sur Netflix, qui traite d’une organisation mafieuse basée à Montréal.]

–         Le 3ème et dernier angle concerne les personnalités. C’est un virage que j’ai entamé au cours de la 2ème saison. Le Québec m’intéresse mais les Québécois m’intéressent encore plus. Je souhaitais donc interviewer des Québécois qui me semblent riches de connaissances à partager. Par exemple, le dernier épisode du balado « Fais-tu frette ? » (l’épisode 54) relate l’échange que j’ai eu avec Maka Kotto. Cet homme a un parcours extraordinaire et ce parcours est selon moi représentatif de ce que le Québec est capable de produire en termes d’intégration. Voilà un homme qui est né au Cameroun, et qui quitte son pays à l’âge de 18 ans, en conflit avec son père. Maka Kotto arrive en France et suit des cours de sciences politiques à l’université de Bordeaux d’une part, et le cours Florent à Paris d’autre part. Sa première expérience cinématographique est un rôle dans le film « Marche à l’ombre » de Michel Blanc. Sa carrière de comédien décolle. Il est ensuite repéré par Dany Laferrière pour un rôle dans l’adaptation de son livre « Comment faire l’amour à un nègre sans se fatiguer » au cinéma. Le film est tourné au Québec. C’est ainsi que Maka Kotto tombe amoureux du Québec. Quelques années plus tard, il s’y installe et prend progressivement part à la vie sociale, intellectuelle, culturelle et politique du territoire. Il s’implique de plus en plus en politique et gravit les échelons jusqu’à devenir de 2012 à 2014 ministre de la Culture et des Communication dans le gouvernement Marois ! Voilà un parcours impressionnant à mes yeux, et notamment du point de vue d’un Français.

La découverte de parcours fascinants, combinée à la facilité à entrer en contact avec les personnes, donne beaucoup de possibilités d’interviews !

Maka Kotto, chambre des communes du Canada
Maka Kotto | Photo : Chambre des communes du Canada https://www.noscommunes.ca/Members/fr/maka-kotto%2825514%29

E.S. : Combien d’abonnés comptez-vous ?

Jean-Michel Lhomme : A l’heure actuelle, je compte 50 000 téléchargements.

E.S. : Quelles sont les spécificités de votre audience ? Le balado trouve-t-il autant son public parmi les Québécois que parmi les non Québécois ?

Jean-Michel Lhomme : Curieusement, il y a un certain nombre d’auditeurs en Amérique du Sud. J’attribue cela au fait que j’ai fait une émission avec Geneviève Breton, du site « ma prof de français-québécois », sur la thématique de la langue. Il se trouve qu’elle est très écoutée en Amérique du Sud. Cela mis à part, le reste de l’audience peut être divisé en 3 groupes :

  • Un tiers des auditeurs vient de l’Europe francophone (Belgique, Suisse, France). Ce sont principalement des personnes qui envisagent de s’expatrier au Canada ou bien qui sont déjà dans un processus d’immigration
  • Un autre tiers représente des personnes qui ont déjà fait le pas, qui sont arrivées au Québec récemment et qui souhaitent se servir du balado comme d’un « accélérateur d’expérience »
  • Le dernier tiers, et le plus étonnant, est composé de Québécois ! D’ailleurs, au début, ils étaient les plus nombreux à réagir. J’ai réalisé que, par effet miroir, l’écoute du balado permet aux Québécois de mieux comprendre les Français et la France !

E.S. : Sur quels réseaux communiquez-vous ?

Jean-Michel Lhomme : Je diffuse le balado sur un grand nombre de plateformes, donc il n’est pas difficile de le trouver ! Mais je dois dire que la majorité des écoutes aujourd’hui se fait sur Spotify, Apple Podcast et Deezer.

On peut également écouter le balado sur le site internet de « Fais-tu frette ? ».

Au Canada, je suis aussi diffusé sur IHeartRadio.

Le balado est enfin diffusé sur de nombreux sites lorsque les auteurs en éprouvent le besoin.

E.S. : Le balado est-il également un relais de communication pour d’autres institutions en rapport avec le Canada ? Et inversement, le site est-il relayé par des organismes ou des particuliers ?

Jean-Michel Lhomme : Les institutions ne relaient pas mon balado à proprement parler, mais relaient parfois un épisode qui peut les concerner dans leurs infolettres. Cela a été le cas, par exemple, il y a peu de temps, avec l’infolettre de Québec International, qui s’appelle « Québec en tête ».

[Ndlr : A ce titre, retrouvez « L’entrevue #4 » avec Simon Ferey, chargé des relations Rennes – Saint-Malo – Québec, Québec International]

E.S. : Quelle est l’actualité du balado « Fais-tu frette ? » et quels sont les axes de développement à venir ?

Jean-Michel Lhomme : Depuis quelques mois, j’ai lancé un 2ème balado en collaboration avec Christelle Colling, la fondatrice de Objectif Québec. Cet organisme accompagne les Français qui souhaitent émigrer au Québec. Le balado est donc axé sur la thématique de l’expatriation vers le Québec. Par exemple, on traite des sujets comme « comment choisir le bon statut pour immigrer au Québec ? » ou « comment vivre l’hiver au Québec ? ». C’est donc un podcast indispensable aux candidats à l’expatriation !

La plupart du temps, je serai en co-animation, et j’échangerai avec des personnes qui ont bénéficié de l’accompagnement de Objectif Québec.

[Ndlr : un échange avec Christelle Colling sera bientôt diffusé dans le cadre de « L’Entrevue Ô Canada ! » ]

Visuel de Objectif Québec, le Podcast, par Christelle Colling et Jean-Michel Lhomme
Visuel du balado « Objectif Québec, le podcast », par Christelle Colling et Jean-Michel Lhomme

E.S. : Avez-vous des conseils à donner aux personnes qui souhaiteraient travailler un jour dans le secteur de la radio ? Ou s’installer au Québec ?

Jean-Michel Lhomme : Pour ceux qui souhaitent s’installer au Québec, je dirais qu’il ne faut pas négliger la taille des différences culturelles entre le Québec et la France.

En France, on parle souvent de nos « cousins québécois », en référence à l’histoire commune entre les deux pays, mais les Québécois sont avant tout des nord-Américains. Le Québec, ce n’est pas la France !

Le 2ème conseil que je souhaite donner est de ne pas avoir d’a priori sur la langue. Il faut écouter les gens, écouter les médias, la radio, la télévision, etc. Il ne faut pas porter de jugement de valeur sur la langue, par exemple, lorsque certaines liaisons sont mal faites (du point de vue d’un Français) ou lorsque certains verbes ne sont pas conjugués comme nous le ferions en France. Il faut bien comprendre que la langue, ici, est la mère de toutes les batailles. Les Québécois sont aimables, ne créent pas de conflits. En revanche, ils peuvent avoir des réactions quasi-épidermiques en ce qui concerne la langue. Et c’est compréhensible, le Québec, c’est un peu le « village d’Astérix » au Canada : 8 millions de francophones dans un pays anglophone (et les Etats-Unis à la frontière sud). En France, la langue n’est pas en danger, c’est un acquis. Ici, au Québec, la langue est régulièrement mise en danger.

E.S. : Y a-t-il des moyens de communication (podcasts, magazines papier ou web, sites internet, pages LinkedIn, etc) que vous souhaiteriez recommander à nos lecteurs sur le sujet des relations France / Canada ? ou sur le Canada et/ou le Québec ?

Jean-Michel Lhomme :

[Ndlr : j’ouvre une parenthèse toute personnelle ici car « Fais-tu frette ? » est également le titre d’une chanson d’un groupe québécois, Bleu Jeans Bleu, que j’affectionne particulièrement, également connue sous le titre « Coton ouaté« . Je vous invite à l’écouter via le lien suivant :

Bleu Jeans Bleu, Coton ouaté, 2019.]

Jean-Michel Lhomme, fondateur et animateur du podcast/balado "Fais-tu frette ?"​
Jean-Michel Lhomme, fondateur et animateur du podcast/balado « Fais-tu frette ? »

🔖 FICHE TECHNIQUE :